Le droit à la déconnexion existe-t-il vraiment?

Le télétravail est devenu une partie intégrante de la vie professionnelle en Europe. Si nous avons découvert les avantages de méthodes de travail plus flexibles lors de la pandémie de COVID-19, les problèmes découlant d'une vie de plus en plus connectée deviennent également apparents. Malheureusement, la législation seule ne suffira peut-être pas à garantir notre droit à la déconnexion.

L'Europe est à un moment charnière: nous sommes à l'aube d'un monde du travail plus flexible et adaptable que jamais. Année après année, nous constatons une augmentation du télétravail: +11% en 2019; +18% en 2020; +22% en 2021. Ces chiffres proviennent de l'enquête sur les forces de travail de l'Union européenne (UE). Plus d'informations à ce sujet sur le site d'Eurostat: Vue d'ensemble - Emploi et chômage (LFS/EFT) - Qu’est-ce que l’enquête sur les forces de travail dans l’UE?).

La crise du COVID-19 a sans doute accéléré le changement. Mais malgré l'augmentation du nombre de personnes qui reprennent le travail à mesure que les États membres de l'UE sortent de la pandémie, le télétravail s'avère être là pour rester.

Les récents résultats de l'enquête électronique de la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound) montrent que le nombre de télétravailleurs est resté constant (18% en 2021 et 2022) et que plus de 60% des travailleurs préfèrent travailler à domicile au moins deux fois par mois.

Toutefois, cette expansion ininterrompue des possibilités de travailler à distance s'accompagne d'indications que les télétravailleurs travaillent plus d'heures que les travailleurs de bureau. De plus, cette augmentation s'accompagne d'horaires de travail atypiques ou irréguliers, comprenant souvent des heures supplémentaires non rémunérées.

Connectivité sans frontières

La connectivité n'est pas un phénomène entièrement nouveau. Au cours des vingt dernières années, des facteurs tels que l'émergence de méthodes de travail hautement flexibles basées sur les TIC ont permis à un plus grand nombre de personnes de travailler à tout moment et à n’importe quel endroit. Une certaine culture de l'allongement des heures de travail et de la disponibilité en dehors des heures normales de travail a été entretenue.

L'essor du télétravail induit par la pandémie a renforcé cette tendance. Par conséquent, de plus en plus d'employés qui travaillent à distance ont du mal à se déconnecter et à maintenir la séparation entre leur travail et leur vie privée.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. En Autriche, près de la moitié des télétravailleurs en 2020 ont déclaré être disponibles pour leur employeur à des moments où ils ne travailleraient pas autrement. En Italie et en Slovénie, en 2021, un travailleur sur quatre a déclaré être contacté quotidiennement en dehors des heures de travail pour des questions liées au travail.

L'aspect subjectif et culturel de la disponibilité constante se reflète dans la constatation de l'année dernière qu’un tiers des télétravailleurs en Grèce ont déclaré être contraints par leur employeur à être disponibles en dehors des heures de travail, bien que ce ne soit pas nécessaire.

Limiter la connectivité permanente

Il est largement reconnu que la capacité à se déconnecter et à maintenir des horaires de travail normaux contribue au bien-être et aux performances des employés, ainsi qu'au succès des entreprises pour lesquelles ils travaillent. C'est pour ça que le "droit à la déconnexion" a pris naissance comme un moyen juridique de protéger le droit des travailleurs à se déconnecter à la fin d'une journée de travail.

La Belgique, la France, l'Italie et l'Espagne sont les seuls pays à avoir adopté une législation spécifique sur le droit à la déconnexion avant la pandémie. Mais depuis la croissance rapide du télétravail pendant la pandémie, plusieurs pays ont suivi le mouvement, notamment la Grèce, le Luxembourg, le Portugal et la Slovaquie. L'Irlande a adopté un code de conduite sur le droit à la déconnexion.

Bien que tous ces pays aient inclus le droit à la déconnexion dans leur législation, il existe des différences en termes de contenu, de couverture, de règles et de mise en œuvre. Cette variation est due aux différences dans les systèmes de relations industrielles et à l'adaptation aux pratiques nationales au travail.

Certains autres États membres discutent de l'introduction d'une législation, tandis que d'autres ont préféré laisser la question être traitée au niveau de l'entreprise par les partenaires sociaux ou par des politiques d'entreprise. Pour les pays nordiques (Danemark, Finlande et Suède), le droit à la déconnexion n'est pas à l'ordre du jour politique. Les enquêtes nationales menées dans ces pays montrent que le pourcentage de travailleurs signalant des problèmes liés au temps de travail n'est pas plus élevé que dans d'autres pays disposant d'une législation sur le droit à la déconnexion. Cette constatation suggère que la résolution des problèmes de temps de travail dans le cadre du télétravail est complexe et peut nécessiter des mesures différentes selon le contexte.

La protection juridique est-elle suffisante?

L'inscription du droit à la déconnexion dans la législation nationale pourrait ne pas suffire à empêcher la propagation d’une culture de travail "toujours plus". Les données montrent que même dans les pays où le droit à la déconnexion est réglementé, toutes les entreprises n'ont pas adopté une politique liée à ce droit.

Par exemple, en Espagne, en 2021, seul un travailleur sur trois a déclaré que le droit à la déconnexion était reconnu dans l’entreprise (par des accords sectoriels ou d'entreprise ou des accords et protocoles internes).

Malgré l'introduction d'une législation pertinente dès 2017, 60% des télétravailleurs en France n'avaient toujours pas de droit formel à la déconnexion en 2021. Seule la moitié des travailleurs avaient des heures fixes spécifiques auxquelles ils pouvaient être joints, tandis qu'une proportion similaire déclarait se sentir "surconnecté".

En Irlande, malgré l'entrée en vigueur du code au début de l'année 2021, 14% des travailleurs ont signalé à la fin de cette année que leur employeur ne reconnaissait même pas ce droit.

Le fait que la législation seule n'ait pas encore permis de garantir que tous les travailleurs bénéficient du droit à la déconnexion peut être dû à certaines caractéristiques de la législation ou au fait que les réglementations ont besoin de plus de temps pour être mises en œuvre au niveau des entreprises. Toutefois, un facteur important est l'absence d'une culture d'entreprise qui reconnaisse le droit des employés à se déconnecter.

Il ne s'agit pas d'un problème technologique: les écrans peuvent être éteints, les ordinateurs peuvent être débranchés, les téléphones peuvent être mis en mode avion. Et malheureusement, la législation ne peut pas changer rapidement les habitudes malsaines. Même s'il est essentiel de consacrer le droit à la déconnexion dans la législation nationale, les conventions collectives et les politiques d'entreprise, sans une "culture du droit à la déconnexion", il peut être difficile de trouver le bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

(Source: Eurofound Blog – juillet 2022: Do we really have the right to disconnect?)

Plus d’infos

Eurofound offre sur son site un nombre de publications en anglais, qui sont pertinentes dans ce contexte. Voici quelques exemples:

Ce site BeSWIC a déjà publié plusieurs articles sur (le droit à) la déconnexion dans le passé:

Sur BeSWIC, vous trouverez également des questions parlementaires sur la déconnexion: